top of page
Photo du rédacteurAnaïs Guiraud

Les exceptions à la liberté d'expression et la responsabilité pénale des auteurices


Vous comme moi, sommes responsables devant la loi (en l'occurrence le code pénal français) de nos productions et créations exposées au public et commercialisées. Bien que le délit « d’outrage aux bonnes mœurs et à la décence publique » ait disparu de notre système pénal (et tant mieux !) il subsiste comme pour toute activité, une responsabilité de l'auteurice.


Sur quelles bases cette responsabilité est-elle définie?


1/ La liberté d'expression est aujourd'hui de principe et consacrée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 en ses article 10 et 11.

L'auteurice disposant d'un pouvoir de représentation, peut à travers son œuvre mettre en mots des comportements qui peuvent heurter, les décrire ou les dénoncer sans encourir de sanction.

En revanche, le droit pénal constitue une limite à la liberté d’expression de l'auteurice.

Ainsi, la liberté d’expression doit être mise en balance avec d’autres droits fondamentaux comme l’a rappelé un arrêt de la chambre criminelle -liberté d0pexression mise en balance avec le délit d'exhibition sexuelle, réprimé pénalement. (9 janvier 2019).


Pour un arrêt consacrant la liberté d'expression des artistes et auteurs: Chambre criminelle, 6 janvier 2021.


L’auteurice est susceptible d’engager sa responsabilité en raison du contenu de son œuvre lorsqu’elle a un impact sur le public ou sur autrui. C’est principalement la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (texte ancien mais toujours en vigueu) qui prévoit trois grandes limites que je vais vous détailler ci-dessous:


  1. L’injure est une « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ». Par exemple, untel est un voleur (si l’accusation ne porte pas sur un vol déterminé). Le contexte est de l’injure est à prendre en compte. Par exemple, le qualificatif « mesquin » a été reconnu comme injurieux par la Cour de Cassation dans une décision de 1962.

  2. La diffamation : « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». L’allégation peut prendre différentes formes : interrogative, conditionnelle, dubitative, insinuation… Il semblerait qu’untel soit un voleur ? Une personne accusée de diffamation peut se défendre en apportant la preuve de la vérité des faits.

  3. La provocation aux crimes et délits : « Discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés au regard du public, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet ».

Une jurisprudence nourrie.

Ainsi Philippe Besson, auteur du roman "L’enfant d’octobre" ayant pour thème l’affaire dite du « Petit Gregory », fut condamné pour diffamation pour y avoir notamment présenté l’hypothèse d’une responsabilité directe de Christine Villemin dans la mort de son enfant.


L'affaire relative au roman "Histoire de la violence", d’Edouard Louis a mis en lumière l’hypothèse de la responsabilité de l’auteurice pour atteinte à la présomption d’innocence.


En 2004, le tribunal de Nanterre a débouté le gourou, Raël dans une affaire qui l’opposait à la chanteuse Ophélie Winter qu'il poursuivait pour « provocation, non suivie d'effet, à la commission d'un crime ». Dans un magazine, la chanteuse avait déclaré : « Je pense qu'il faut tuer Raël ».


Dans un second temps, les infractions de provocation ou d’incitation ont quant à elles plus largement pour objectif de sanctionner les écrits qui, par manœuvre consciente, encouragent le lecteur à adopter une attitude néfaste envers autrui, attitude démontée, mise en lumière et visé dans l’ouvrage, voire accessoirement contre lui-même (apologie du suicide, par exemple)

Il en va ainsi de l’incitation du lecteur à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, notamment une minorité.


La Cour EDH a validé l’application de telles restrictions à l’égard de l’auteurice dans un arrêt Karatas

relatif à la publication de poèmes. Bien qu’elle n’ait pas retenu de violation en l’espèce, elle a affirmé qu’il est « loisible aux autorités compétentes de l’État d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive » à des propos qui incitent « à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’État ou d’une partie de la population ». (Au hasard, des personnes racisées, des femmes, des enfants…)

En ce sens, la Cour européenne rappelle que le recours à la forme littéraire ne saurait servir à promouvoir ou justifier la haine fondée sur l’intolérance.


Si ces infractions répondent à la sanction de contenus illicites, le Code pénal renferme quant à lui une disposition qui permet de sanctionner l’écrivain au nom de la protection des mineurs, non pas directement pour le contenu de son œuvre, mais pour les circonstances de sa diffusion.

Ainsi, l'article L 227- 23 du Code pénal dispose: " Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Lorsque l'image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans, ces faits sont punis même s'ils n'ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation."


Enfin, j'ajoute que l'éditeur de l'œuvre est également responsable, via les dispositions de l'article L227-23 alinéa suivant du même code : "Le fait d'offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l'importer ou de l'exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines."


C'est d'ailleurs bien connu de ces derniers, puisque les contrats d'édition contiennent généralement une clause dite "garantie de l'auteur" par lequel ce dernier déclare que son œuvre ne contrevient à aucune réglementation, civile ou pénale, ne porte pas atteintes aux droits des tiers (contrefaçon, plagiait) et n'est pas contraire aux dispositions d'ordre public et aux bonnes mœurs. Ainsi, la responsabilité des éditeurs des œuvres en question peut-elle être aussi discutées.


Pour aller plus loin: Les interdits et la liberté d’expression | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)


"Le livre n’est pas une feuille légère qui se perd et s’oublie comme le journal. Quand le livre apparaît, c’est pour rester ; il demeure dans nos bibliothèques, à nos foyers, comme une sorte de tableau. S’il a ces peintures obscènes qui corrompent ceux qui ne savent rien de la vie, s’il excite les curiosités mauvaises et s’il est aussi le piment des sens blasés, il devient un danger toujours permanent, bien autrement que cette feuille quotidienne qu’on parcourt le matin, qu’on oublie le soir, et qu’on collectionne rarement »

Ernest Pinard, substitut du procureur de la république, extrait du réquisitoire contre Charles Baudelaire.


9 vues0 commentaire

Comentarii


Post: Blog2_Post
bottom of page